Journée internationale des droits de l’enfant : la situation des enfants dans les rues de Tananarive

La journée internationale des droits de l’enfant (JIDE), célébrée chaque année le 20 novembre, est pour Apprentis d’Auteuil Océan Indien l'occasion de mettre en lumière les situations les plus sensibles et critiques rencontrées par les enfants des rues à Madagascar, sur lesquelles l’association appelle à une mobilisation générale.

Lors du défilé pour célébrer le mois de l’enfance, les enfants revendiquent leur droit à une nourriture suffisante et saine, Graines de bitume, juin 2021

En 1989, les responsables politiques du monde entier se sont engagés à construire un monde digne des enfants : la Convention internationale des droits de l’enfant a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies.

C’est la première fois de l’histoire qu’un texte international reconnait explicitement les personnes de moins de 18 ans comme des êtres à part entière, porteurs de droits sociaux, économiques, civils, culturels et politiques – des droits fondamentaux, obligatoires et non négociables.

L’enfant a le droit d’être protégé, nourri, soigné, éduqué, de s’exprimer, d’avoir des loisirs.

Mais ce droit n’est pas respecté partout dans le monde.

A Antananarivo, capitale de Madagascar, on estime à environ 23 000 le nombre d’enfants en situation de rue, toutes catégories confondues (seuls dans la rue, ou en famille dans la rue, pendant journée ou la nuit). Ces enfants sont particulièrement vulnérables et n’ont pas accès à leurs droits fondamentaux tels que la santé, l’éducation, la nourriture ou la sécurité. Nombreuses associations œuvrent chaque jour pour accompagner ces enfants dans leur survie et tentent de peser durablement sur la problématique. Apprentis d’Auteuil Océan Indien est mobilisée à leurs côtés depuis 20 ans et soutient, à travers le projet Sandratra, 4 partenaires malgaches qui prennent en charge des enfants et jeunes en situation de rue à Tananarive.

Dans le cadre de ce projet, et pour mieux objectiver la situation de ces enfants, les urgences auxquelles il est nécessaire de répondre, et les leviers d’une amélioration sensible et durable de leur situation, Apprentis d’Auteuil Océan Indien a piloté une étude socio-anthropologique qui s’est attachée à recueillir les témoignages au plus près du terrain entre les mois de juin et août 2021 dans les rues de Tananarive. L’étude, menée par Amber Cripss*, est désormais accessible et les principaux résultats sont téléchargeables.

 

Les principales observations de l’étude :

  • Les enfants sont victimes de violences quotidiennes, et en particulier de violences sexuelles

41% des enfants interrogés ont déjà subi des violences physiques, et pour 23% d’entre eux ces violences sont répétées et fréquentes. Les agressions sexuelles sont courantes et 25% des enfants connaissent une personne qui a subi un viol, majoritairement des jeunes filles mineures. Très peu de cas sont signalés à la police et même lorsqu’ils sont signalés, il n’y a pas toujours de répercussions, même lorsque le coupable est connu.

Je suis née dans la rue, et je vis dans la rue… toute mon enfance s’est passée dans la rue… à Analakely, Ambanin’ny Arcade. Quand je dormais dans la rue, j’ai été victime de viol. Nous avions aussi des problèmes pour avoir des couvertures. C’était un voyou d’Analakely qui a abusé de moi. Un voleur je crois, il m’a forcé, il m’a violé ! Il m’avait promis de se marier avec moi. Cela m’est arrivé quand j’avais 14 ans. Mais après l’acte, il s’est enfui et je ne l’ai jamais revu. Alors j’ai changé de place pour mendier… et cherché de l’aide… des gens du « gastro » (gargote) m’avaient dit de me placer ici, là où vous m’avez trouvée. Quand ce garçon m’a violée, je n’avais pas encore commencé à avoir mes règles et je pensais que je n’aurais jamais d’enfants ”, témoigne la jeune femme de 21 ans, née dans la rue de mère mendiante.

  • Les besoins primaires des enfants ne sont pas satisfaits, dont le fait de manger à sa faim ou de maintenir une hygiène minimum

Les enfants survivent principalement de petits travaux informels (petit commerce, porteur de bagage, de biens ou d’eau, lessiveur, gardien de parking). Les entrées d’argent sont imprévisibles ce qui impacte directement leur capacité à se nourrir : « Il y a des jours où nous ne mangeons rien du tout surtout durant la journée. Quand je n’ai pas d’argent, je mendie ou je fouille des ordures pour trouver de quoi à manger », explique une jeune fille de 13 ans seule dans la rue lessiveuse et porteuse d’eau. « Des fois je ne trouve pas à manger, c’est mon problème le plus fréquent. On a faim et tout de suite on s’évanouit. Par exemple aujourd’hui on ne trouve pas à manger et le lendemain on ne trouve pas encore. Ou bien on cherche dans les poubelles », raconte une autre jeune fille mendiante de 11 ans qui habite avec ses parents.

  • Les enfants des rues sont victimes de stigmatisation, comme d’une caste de sous-hommes (ou sous-femmes)

Les enfants des rues sont régulièrement traités de « sales », de « pauvres », de « paresseux », de mendiants, d’impolis, de voleurs, de « moins que riens », les filles sont harcelées et traitées de prostituées. Face à ces insultes, ils se sentent « rabaissés », méprisés et « tristes » et être rabaissé est la première chose que les enfants disent ne pas aimer dans leur vie.

« Des gens nous considèrent comme des quatre-mi, des gens sales, des voleurs. Pourtant je n’ai jamais volé quelque chose à quelqu’un. Ils nous rabaissent et nous insultent avec des gros mots. Nous sommes tous victimes de ces insultes en vivant dans la rue, moi et les autres enfants. Ils ne veulent pas se rapprocher de nous parce qu’ils disent que nous sommes sales… et que nous avons des odeurs nauséabondes », confie une jeune fille de 16 ans qui a toujours vécu dans la rue.

Cette étude vise à compléter les données existantes en ce qui concerne la situation des enfants en situation de rue et de leurs familles, sous l’angle socio-anthropologique. Affiner la connaissance des problématiques va permettre d’améliorer la prise en charge des enfants, à la fois lors des maraudes de rue, mais aussi dans les centres d’accueil, en complétant les interventions. L’ambition est également de développer, avec la plateforme de la société civile pour l’enfance malgache (PFSCE) une stratégie de plaidoyer à destination des acteurs institutionnels qui permettra de réduire le phénomène des enfants en situation de rue, par des politiques publiques de prévention (comment éviter que les enfants / familles ne se retrouvent dans la rue) et de prise en charge pour les aider à sortir de la rue.

Le projet Sandratra

Le projet Sandratra accompagne depuis 2016 4 organisations malgaches (Graines de bitume, HARDI, le centre NRJ et MANDA) qui prennent en charge des enfants en situation de rue dans leurs centres d’accueil (accueil de jour et/ou de nuit). Le projet est animé par Apprentis d’Auteuil Océan Indien avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD) et du Gouvernement de la Principauté de Monaco, et permet d’accompagner chaque année environ 1 000 enfants et jeunes en situation de rue à Tananarive. Il permet de restaurer l’accès aux droits fondamentaux de ces enfants tels que la sécurité, le logement, l’alimentation, la santé et bien sûr l’éducation. Le projet vise également à accompagner ses partenaires pour mener des actions de plaidoyer en faveur de la défense des droits fondamentaux des enfants. Ce travail de plaidoyer se fait en étroite collaboration avec la Plateforme de la Société Civile pour l’Enfance (PFSCE).

Interview d’un jeune garçon qui a rejoint le centre NRJ depuis quelques mois. Il nous raconte ce qu’il y fait, et quels sont ses rêves maintenant qu’il est en sécurité et que ses droits fondamentaux sont restaurés.

 

Vous pouvez agir pour ces enfants en soutenant les partenaires du projet Sandratra.

*Amber Cripps : consultante indépendante et anthropologue disposant de 15 ans d’expérience à l’international auprès de programmes médicaux et sociaux, elle est expérimentée en recherche qualitative et interventionnelle sur les déterminants socioculturels des comportements pour orienter les stratégies d’intervention. Experte en approches participatives et inclusives, elle promeut une réelle écoute des bénéficiaires pour un meilleur alignement de l’action, une appropriation et pérennité des interventions.